Le 80e anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie.
18.04.2023
"Nous sommes les gardiens de cette mémoire. Le 80e anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie."- l'article du Prof. Piotr GLIŃSKI, le vice-premier ministre, le ministre de la culture et du patrimoine national.
En avril 1943, à la veille de la fête juive de la Pessa’h, les Allemands occupant la capitale polonaise encerclent le quartier juif qu’ils ont créé – le ghetto de Varsovie – en vue de sa liquidation définitive. Le 19 avril, la police allemande et des forces auxiliaires SS pénètrent dans le ghetto pour achever l’œuvre d’extermination. Ses habitants se sont blottis dans des bunkers et des cachettes. Les combattants juifs attaquent les Allemands avec des armes à feu, des cocktails Molotov et des grenades à main. Deux véhicules allemands sont incendiés à l’aide de bouteilles d’essence. Surpris, les Allemands sont incapables de briser la résistance farouche des insurgés.
Face à la forte résistance et des échecs initiaux, les Allemands commencent à systématiquement mettre le feu aux bâtiments du quartier, transformant ses rues en un brasier dont il devient impossible de s’échapper. Tandis que les combats se poursuivent, des unités de l’armée clandestine polonaise engagent des actions contre les Allemands. Trois sections de l’Armée de l’Intérieur (AK) tentent, sans succès, de forcer les murs du ghetto à l’aide d’explosifs. Condamnés à l’extermination, les Juifs se défendent jusqu’au début du mois de mai. Le dernier acte symbolique de leur soulèvement est la démolition par les Allemands de la Grande Synagogue, rue Tłomackie.
Le soulèvement du ghetto de Varsovie est le premier soulèvement d’une grande ville et en même temps la plus grande révolte de la population juive pendant l’occupation allemande. Dans l’après-midi du 19 avril 1943, dans un geste symbolique, les combattants hissent sur le toit de la forteresse de l’Union militaire juive, située place Muranowski, le drapeau blanc et rouge de la Pologne et le drapeau blanc et bleu de leur organisation. Cette image de deux drapeaux – polonais blanc et rouge et sioniste blanc et bleu – flottant ensemble au-dessus du ghetto révolté, deviendra un symbole des destins juifs et polonais inextricablement liés. Quelques mois plus tard, en août 1944, éclatera le soulèvement de la ville de Varsovie – une bataille pour la Pologne libre, la plus grande insurrection indépendantiste de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.
Dans l’histoire de la Pologne, mais aussi dans sa littérature, son art et sa culture au sens large, on peut trouver de nombreuses références aux soulèvements. Ces moments insurrectionnels donnaient de l’espoir, remontaient les esprits et réconfortaient les cœurs, mais ils étaient presque toujours brutalement réprimés par les envahisseurs et les occupants. Tragiques, souvent inévitables, ils construisaient une identité communautaire et généralement s’avéraient victorieux après de longues années. Ils laissaient une forte empreinte sur la société polonaise et l’histoire du pays. C’est pourquoi ils sont devenus un thème fréquemment abordé par la littérature, la peinture et le cinéma. Et bien que les artistes les aient montrés de diverses manières, ils n’ont presque jamais critiqué l’idée même du soulèvement ; au contraire, ils ont prôné le combat pour la liberté, l’élevant sur un piédestal culturel.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Varsovie – la capitale de la Pologne – fut la ville de deux soulèvements, au cours desquels Juifs et Polonais ont affronté les criminels allemands. La ville fut finalement réduite en ruine, détruite et brûlée. Cela prouve à quel point l’impératif polonais de lutte pour la liberté est fort.
On peut se demander : pourquoi à Varsovie ? Il convient de rappeler qu’en 1939, au début de l’invasion allemande de la Pologne, à Varsovie vivaient près de 370 000 Juifs. Ils représentaient environ 30 % de la population de la ville. Après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, au cours de l’année suivante, près de 100 000 Juifs supplémentaires, systématiquement déplacés par les Allemands des territoires polonais soit incorporés au Reich soit occupés, sont venus dans la capitale polonaise. Au printemps 1940, les Allemands ont commencé à créer un quartier juif à part dont la fermeture définitive a eu lieu en novembre 1940. Derrière les murs du ghetto, sur une superficie de 307 hectares, vivaient env. 400 000 Juifs. En avril 1941, la population du ghetto s’agrandit avec l’afflux de déplacés, pour atteindre 450 000 personnes. Je ne rappelle pas ces chiffres par hasard. Le ghetto de Varsovie était en effet le plus grand ghetto mis en place par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale en Europe. En juillet 1942, ils ont commencé à déporter massivement les Juifs du ghetto vers le camp d’extermination de Treblinka. On estime que 250 000 à 300 000 Juifs ont alors été assassinés. Environ 100 000 personnes sont mortes à l’intérieur du ghetto de famine et de maladies en raison des conditions inhumaines créées par les Allemands.
Nous disons « Juifs », mais il faut rappeler qu’ils étaient citoyens de la Pologne – de la Seconde République de Pologne, multinationale et multiculturelle. Par conséquent, commémorer le soulèvement du ghetto de Varsovie et nous souvenir du courage de ceux qui ont tenu tête à l’occupant allemand est de notre devoir commun. Ces jours-là, en Pologne, ont lieu plus de 150 événements accompagnant les célébrations officielles du 80e anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie. Ils sont organisés ou financés par le gouvernement polonais, par exemple dans le cadre du programme de soutien aux activités de préservation du patrimoine et de la mémoire des Juifs polonais mis en œuvre par le ministère de la Culture et du Patrimoine national. Depuis que la Droite unie (ZP) gouverne la Pologne, nous avons plus que triplé le budget des institutions dont les activités comprennent la préservation de la mémoire, de la culture et du patrimoine de la nation polonaise multiculturelle, y compris le patrimoine de la minorité juive vivant en territoires polonais, ainsi que la commémoration de la Shoah perpétrée par les Allemands en Pologne occupée.
Parmi les institutions subventionnées par le gouvernement polonais figurent entre autres les musées d’État dans les anciens camps de la mort allemands : le Musée d’Auschwitz-Birkenau à Oświęcim ; le Musée de Majdanek (avec ses succursales : le Musée-Mémorial de Bełżec et celui de Sobibór) ; le Musée Stutthof à Sztutowo; le Musée de Treblinka; le Musée Gross-Rosen à Rogoźnica; le Musée-Mémorial du KL Plaszow à Cracovie. À cette liste s’ajoutent également le Musée du Ghetto de Varsovie, le Musée des Polonais sauvant les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale du nom de la famille Ulma à Markowa, le Musée du Souvenir des habitants de la région d’Oświęcim, le Musée de l’histoire des Juifs polonais POLIN, l’Institut historique juif Emmanuel Ringelblum. Il s’agit aussi bien d’institutions actives depuis plusieurs décennies, d’ailleurs souvent sous-financées dans le passé, que d’institutions créées ces dernières années par souci de mémoire : le Musée du Ghetto de Varsovie, le Musée des Polonais sauvant les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale du nom de la famille Ulma à Markowa, le Musée du Souvenir des habitants de la région d’Oświęcim.
Varsovie est aujourd’hui une ville de vivants. La Pologne est une terre de vivants. En nous souvenant du passé et en nous appuyant sur l’expérience historique, nous voulons construire un avenir meilleur. Nous n’oublions pourtant pas ceux qui sont morts ou ont été assassinés. La mémoire transmise de génération en génération doit durer pour toujours. Et aujourd’hui, c’est à nous d’en être les gardiens.
Piotr Gliński
Texte co-publié avec le mensuel polonais „Wszystko Co Najważniejsze" dans le cadre d'un projet réalisé avec l'Institut de la mémoire nationale (IPN) et la Fondation nationale polonaise.