"Nous racontons la Pologne au Monde"
16.09.2022
L'article du Président de la République de Pologne Andrzej DUDA : "L’impérialisme russe en guerre contre l’Europe centrale et orientale".
"Le déclenchement de la guerre par le IIIe Reich allemand – dont le premier acte fut l’invasion de la Pologne, le 1er septembre 1939 – fait partie des anniversaires commémorés chaque année à travers toute l’Europe. À son tour, la date de l’agression soviétique de la Pologne, le 17 septembre de la même année, reste relativement méconnue à l’Ouest. C’est pourquoi je crois qu’il ne faut pas avoir de cesse de rappeler constamment aussi la portée de cet événement décisif, et ceci pour un demi-siècle, pour le destin de ma Patrie et de nombreux autres États d’Europe centrale et orientale. Car si nous, Polonais, avec les autres nations de notre région, affirmons souvent comprendre mieux la Russie et sa motivation impériale que ne le fait l’Occident, c’est parce que nous avons une expérience historique dont le symbole est pour nous le jour du 17 septembre.
L’entrée de l’Armée rouge sur le territoire polonais deux semaines et demie après l’attaque de la Wehrmacht et de la Luftwaffe était l’accomplissement des dispositions du protocole secret au pacte Hitler-Staline, signé le 23 août 1939, par les chefs des deux diplomaties : Ribbentrop et Molotov. Unis dans leur alliance, les deux empires totalitaires partageaient entre eux les États jusque-là indépendants d’Europe centrale. La partie occidentale de la Pologne ainsi que la Lituanie et la Roumanie entraient dans la sphère d’influence allemande, et la partie orientale du pays dans la zone soviétique, tout comme la Lettonie, l’Estonie et la Finlande.
Le résultat le plus important pour ma nation en a été la liquidation de l’État polonais indépendant et la division de son territoire entre les deux occupants : l’Allemagne nazie et l’Union soviétique. D’autres dispositions du pacte ont été en partie modifiées au cours des deux années suivantes. La Finlande a sauvé son individualité grâce à la guerre de l’hiver 1940. À son tour, la Lituanie, après un épisode de relative indépendance, fut absorbée par les Soviétiques. Malgré ces modifications, la règle essentielle du pacte n’a pas changé : le sort des nations et des États de notre région d’Europe était désormais déterminé par deux impérialismes, hitlérien et stalinien.
Sous l’occupation allemande, la Pologne a subi d’énormes pertes humaines et matérielles. Les nazis ont tué six millions de ses citoyens, dont près de trois millions de Juifs polonais. Ils ont démoli et incendié des milliers de villes et villages polonais, à commencer par la capitale : Varsovie. Ils ont pillé d’innombrables biens matériels et culturels – publics et privés – qui ne sont jamais revenus dans mon pays. Seuls quelques auteurs du génocide et de l’extermination allemands, des crimes de guerre, de la terreur de masse et des pillages furent traduits après la guerre devant les tribunaux de Nuremberg et de Varsovie, pour subir une punition bien méritée. Mais, au moins, les crimes allemands furent moralement condamnés par l’ensemble du monde libre. Malheureusement, il en fut autrement des crimes soviétiques, restés impunis et souvent oubliés.
Que nous a apporté l’occupation soviétique de plus de la moitié du territoire polonais d’avant-guerre ? D’abord, elle a apporté le massacre de Katyn : l’extermination de 22 000 prisonniers de guerre – officiers de l’armée polonaise, policiers et soldats, ainsi que fonctionnaires et autres prisonniers politiques. Ils furent fusillés en violation de toutes les conventions internationales, car Staline les a reconnus comme des ennemis invétérés du communisme et des patriotes fidèles à leur patrie. Ensuite, elle a entraîné la déportation d’au moins un demi-million de mes compatriotes vers des camps de travail et des lieux d’exil forcé en Sibérie et dans la partie asiatique de l’URSS ; un grand nombre d’entre eux ne sont jamais revenus de cette « terre inhumaine », morts loin de la Patrie. Et enfin, elle a apporté une terreur brutale du NKVD et un endoctrinement idéologique, la destruction de l’identité et de la tradition nationales, une inculcation forcée, dès le plus jeune âge, de principes du communisme allant jusqu’à obliger les enfants à renoncer à leur foi.
Les Polonais ne sont pas les seuls à l’avoir vécu. Les nations baltes : Estoniens, Lettons et Lituaniens le connaissent tout aussi bien. Et aussi d’autres nations qui se sont retrouvées dans la sphère d’influence soviétique après la victoire de l’Union soviétique sur le IIIe Reich.
Cette amitié entre Hitler et Staline s’est effondrée après moins de deux ans, lorsque, le 22 juin 1941, l’Allemagne a attaqué l’URSS. Le principe selon lequel le sort des pays d’Europe centrale et orientale était déterminé non par leurs nations libres, mais par les dirigeants des puissances impériales est, lui, resté en vigueur.
Les Soviétiques ont vaincu Hitler et en 1945 ont pris tout le territoire de la Pologne et d’autres pays à l’ouest et au sud, jusqu’à l’Elbe, le Danube et la Drawa. Ils ont incorporé certains d’entre eux directement dans l’État soviétique en tant qu’États fédéraux – ce fut le sort des Baltes, des Biélorusses et des Ukrainiens. Dans d’autres, ils ont installé des gouvernements fantoches composés de communistes locaux soumis entièrement à Moscou - comme en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Roumanie, en Hongrie, en Bulgarie, et aussi en Allemagne de l’Est.
Pour les nations de notre région, la défaite du IIIe Reich n’a pas apporté la liberté tant désirée. L’assujetissement à l’empire russe a duré jusqu’à la chute du communisme – un demi-siècle au total !
Il a fallu attendre la transition démocratique, initiée en 1989 par le mouvement polonais Solidarité, créé neuf ans auparavant, pour que les Polonais et les autres nations d’Europe centrale et orientale retrouvent leurs propres États souverains. La plupart d’entre eux sont progressivement devenus membres à part entière de l’OTAN et de l’Union européenne.
Cependant, les impérialistes russes n’ont jamais supporté l’indépendance des pays de notre région. Après que la Russie se soit remise du choc que fut pour elle la perte de sa sphère d’influence, elle sa commencé à tout faire pour reconstruire son empire d’avant. Nous nous souvenons de l’attaque militaire de 2008 contre la Géorgie. Nous nous souvenons également de la répression brutale et répétée des mouvements de liberté en Biélorussie et en Ukraine. On se souvient enfin de la politique hostile de la Russie envers l’Ukraine indépendante, de l’annexion forcée de la Crimée et du Donbass en 2014, et surtout, de la guerre génocidaire à grande échelle livrée à un État ukrainien souverain qui a débuté le 24 février dernier.
Pour les peuples de notre région, loin d’oublier les expériences historiques symbolisées par la date du 17 septembre, il ne fait aucun doute que l’impérialisme russe s’efforce à nouveau de s’étendre. La Russie veut obtenir la même chose qu’en 1939–1940, lorsqu’elle a agi main dans la main avec son alliée – l’Allemagne nazie –, et en 1945–1991, lorsqu’elle a gouverné seule nos pays.
La Russie, depuis toujours, cherche à maîtriser l’Europe centrale et orientale. Mais une Pologne libre, une Ukraine libre et tous les autres États indépendants de notre région ne l’accepteront jamais. Pour nos nations, c’est une question de vie ou de mort, de préservation de l’identité et de survie. C’est une question d’avenir, de sécurité et de prospérité."
Andrzej Duda
Texte co-publié avec le mensuel polonais „Wszystko Co Najważniejsze" dans le cadre d'un projet réalisé avec l'Institut de la mémoire nationale (IPN) et la Fondation nationale polonaise.